Management : et si au lieu de vouloir "gérer" les émotions, on apprenait plutôt à écouter ce qu'elles disent de nous et des autres ?

Tribune publiée dans Focus RH le 03/07/2024

Certains pensent que les émotions n’ont pas leur place dans la sphère professionnelle, qu’il faut savoir les laisser à l’entrée du bureau. D’autres pensent qu'elles doivent être gérées ou contrôlées au travail. Et si en fait, les émotions étaient de petites voix précieuses qui, si on apprenait à les écouter et à comprendre ce qu’elles nous chuchotent, pourraient être de superbes alliées pour les managers ?


Les émotions, des réflexes installés depuis des millénaires…

Le terme émotion nous vient du latin emovere, qui signifie mettre en mouvement, en action. Comme le dit Eric Berne, père de l’Analyse Transactionnelle, les émotions sont “un processus biochimique bref, en réponse à un stimulus interne ou externe, provoqué ou subi, agréable ou désagréable, observable par un changement de comportement physique ou physiologique.”

Dès lors, on comprend le lien indiscutable entre l'émotion qui nous traverse et l’action qui va en découler : prendre telle ou telle décision, adopter tel ou tel comportement, fuir ou tenir tête, écouter ou s’énerver…

Émotions, sentiments, sensations : tous pareils ?

Pas exactement non ! Et il est important - ou plutôt utile devrais-je dire - de savoir les distinguer. 

Selon Paul Eckman, psychologue américain pionnier dans l'étude des émotions, les émotions primaires (entendre universelles) sont la peur, la colère, la tristesse, la joie, le dégoût et la surprise. Ancrées en nous tous, les émotions ont pour raison d’être de nous permettre de survivre, en favorisant notamment des automatismes drivés par notre cerveau et dont nous n’avons majoritairement pas conscience.  

Les sensations quant à elles, sont la traduction physique de l’émotion. Par exemple, quand nous sommes traversés par la peur, nous pouvons avoir la boule au ventre, ressentir des palpitations, avoir envie de vomir… Tout cela est simplement biologique ! Quand le cerveau perçoit une situation dangereuse ou désagréable, le corps produit de la noradrénaline et du cortisol, de façon automatique, sans que l’on en ait conscience. Le système nerveux autonome sympathique puis parasympathique s’activent, ce qui a pour conséquence par exemple d’inhiber la digestion (d’où les nausées) et de contracter la vessie ( n’avez-vous jamais eu envie d’aller aux toilettes avant une réunion stressante ?!). Tout ceci est fait dans le but de se délester pour courir plus vite face aux “prédateurs” qui mettent l’Homme en danger. Même s’il est vrai que l’on croise moins souvent que nos ancêtres des ours au quotidien, il n’en reste pas moins que l’Entreprise peut générer de l’incertitude, des risques d'intégrité physique ou psychologique, de l'imprévisibilité… autant de facteurs générateurs de stress et donc issus de la peur.

Les sentiments, eux, correspondent à l’effet psychologique de l’émotion, une forme de “déclinaison”. Ainsi le sentiment d’anxiété est issu de la peur, celui de la satisfaction provient de la joie, l’aigreur du dégoût, l’agacement de la colère, et la liste est longue… Pour autant, amusez-vous à lister 10 sentiments par émotion et vous verrez que notre connaissance sur le sujet est assez pauvre.

Être capable de pouvoir ressentir ses propres émotions, sensations et sentiments est indispensable pour développer des interactions et des relations de qualité avec les autres. Comme le dit Daniel Goleman, “l’intelligence émotionnelle, c’est comme un escalier, ça commence par la conscience de soi et de ses émotions puis on passe à la conscience des autres et à sa capacité à gérer avec eux les relations.”

Alors, en quoi les émotions sont-elles si précieuses pour les managers ?

Si on part du postulat qu’un.e manager d’équipe ou de projet est là pour créer les conditions préalables et favorables à la coopération au sein de son équipe, savoir identifier l’émotion qui le.la traverse et qui traverse les personnes qu’il ou elle manage, peut permettre d’éviter des comportements automatiques “destructeurs”. Ces comportements instinctifs peuvent en effet être délétères. En tant que manager, savoir entendre ses émotions permet de décider et d’agir consciemment et non plus de subir. Projetons-nous en situation réelle. Une nouvelle fois, votre collaborateur Ben ne vous rend sa note dans les temps. Piqué.e au vif, vous vous emportez sur l’instant (réaction instinctive), mais au lieu de vous sentir soulagé.e, vous vous en voulez ensuite pendant des jours d’avoir réagi ainsi. Et cela se répète à chaque fois… Un phénomène qui vous embête, mais étant perdu.e avec vos émotions, vous ne savez pas réagir autrement. Pourtant en apprenant à être à l’écoute de ce que vous ressentez et à détecter les signaux de vos sensations et sentiments, vous apprenez aussi à reprendre la main et à pouvoir - enfin - agir autrement. A force d’y prêter attention, au fil des mois, vous saurez que cette chaleur qui monte dans vos joues est un signe avant-coureur d’énervement. Vous pourrez alors en conscience décider de vous emporter ou au contraire de faire un choix constructif en partageant calmement mais fermement, vos sentiments et besoins à Ben.

Avoir conscience de ses émotions permet aussi de mieux comprendre la façon dont on voit les choses. Paul Ekman dit "les émotions changent la façon dont nous voyons le monde et comment nous interprétons les actions des autres." Elles sont comme des lunettes qui, selon la couleur des verres, nous font voir la vie en rose, en bleu, en vert ! Savoir écouter les émotions des autres aide à mieux comprendre leurs réactions, décisions, et donc à mieux travailler ensemble. 

Enfin, chaque émotion est porteuse d’un message. La peur, qui nous fait fuir ou éviter quelque chose, répond au besoin d’être rassuré. La colère, qui nous rend agressif, nous informe du besoin d’être entendu. La tristesse, qui peut nous isoler, nous raconte le besoin d’être consolé. La joie, elle, attend d’être partagée. Le dégoût murmure le besoin d’être respecté. Et la surprise d’être sécurisé. Hum, cela vous parle ? Vous voyez déjà les choses autrement non ?! 

Mais comment s’y prendre pour faire des émotions, des alliées pour soi et son équipe ?

Premier levier : prendre conscience de ses émotions, car comme dit John Whitmore “ce qui échappe à ma perception, me contrôle.” Même si percevoir ses émotions n'est pas toujours facile, c’est comme tout, c’est en s’entraînant que l’on progresse. Concrètement, se demander plusieurs fois dans la journée ce que l’on ressent comme émotion ou sentiment est un bon début. La même chose peut être faite avec ses interlocuteurs. Dans la continuité, écouter son corps est un second levier. Quel ressenti ai-je dans les bras, les jambes, le ventre etc ? Puis, avec sa tête, il est intéressant de comprendre ce qui s’est passé juste avant, pour identifier de potentiels déclencheurs de telle ou telle émotion. 

Autre action possible : travailler sur ses automatismes, dit autrement travailler à comprendre ce qui suscite certaines émotions chez vous, pour quelles raisons et quelles en sont les conséquences positives comme négatives. Ce type de sujet gagne en profondeur en étant mené avec un accompagnement de type coaching professionnel. 

Dans cette même lignée, une autre  approche plus atypique existe : l’équicoaching. Cette méthode originale permet de discuter en face à face, seul ou en équipe, avec des chevaux, dans le cadre de formations ou de séminaires. Une démarche qui fait ses preuves et qui peut être remarquablement efficace dans le cadre professionnel pour accélérer les prises de conscience des émotions et de leur impact dans une relation.. Le cheval est en effet capable de ressentir les émotions humaines (via la pulsation cardiaque, les traits du visage, les odeurs…) il adapte en temps réel son comportement en fonction. Agissant tel un miroir, en discutant avec eux, on saisit toute l’importance de la communication non verbale, on apprend à décrypter des signaux envoyés par le corps d’un être vivant, et surtout on fait de façon fulgurante le lien entre ses propres émotions, ses actions et les réactions de notre interlocuteur.

En tant que manager, il est aussi important de savoir faire part de ses émotions et de ses besoins de façon constructive. On peut alors s’appuyer sur des formations en Communication Non Violente par exemple, méthode éprouvée qui permet des relations apaisées et constructives. 

Terminons par un rôle clé du manager : créer les conditions du partage des émotions au sein même de son équipe. Pour cela, demander en début de réunion - et écouter avec intérêt la réponse - “Comment te sens-tu ?” Cela peut tout changer. Également, en adoptant une écoute empathique, du questionnement et de bonnes reformulations des émotions et des sentiments de vos interlocuteurs - telles que “ je perçois une forme d'inquiétude quand tu me parles de ce projet” ou “Je ressens beaucoup de joie de ta part quand tu évoques cette collaboration.” - vous serez étonné.e.s de voir ô combien la qualité de vos relations s’améliorera et ainsi la performance de votre équipe, et de vous-même ! 

Alors, vous êtes prêt.e.s à écouter ces petites voix ?! 

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